Partez à la recherche de la pierre philosophale ! La médiathèque municipale de Gap vous présente des recettes de chimie et d'alchimie datant du 17e siècle.
Publié en octobre 2023
Dans le cadre d'un partenariat, les Archives départementales des Hautes-Alpes ont numérisé certains ouvrages rares du fonds patrimonial de la médiathèque de Gap (Hautes-Alpes). Nous vous proposons de découvrir l'un d'entre eux, un bien étonnant manuscrit : des Recettes de chimie et d'alchimie du 17e siècle.
Couverture des Recettes de chimie et d'alchimie. Médiathèque de Gap, image ADHA.
L'alchimie à l'époque moderne (16e-18e siècles)
De même que l'astronomie et l'astrologie ont longtemps eu un destin commun (voir notre article sur Oronce Fine et l'astrologie), la chimie et l'alchimie sont restées une seule et même chose jusqu'au 18e siècle. Au 17e siècle, les deux termes étaient employés indifféremment, al- n'étant que l'article arabe venu s'agréger au début du mot chimie1.
Au cœur de l'(al)chimie de cette époque se trouve la théorie de la transmutation - c'est-à-dire transformation - des métaux en or. On croit alors que les métaux se forment sous terre à partir de soufre et de mercure. On les voit comme des corps composés que l'on peut purifier afin de les transformer en or, qui est considéré comme l'état ultime de tout métal. L'alchimie est également liée à la médecine et à l'astrologie.
Travail de la terre. Extrait du Traité d'alchimie de Rodolphe II, 16e siècle. BnF
L'aspect le plus connu du travail des alchimistes est la recherche de la pierre philosophale, substance qui permettrait de transmuter les métaux en or, et qui aurait aussi des vertus médicales sous sa forme liquide (appelée élixir, panacée ou or potable) : elle apporterait la guérison universelle et prolongerait la vie humaine.
L'alchimie s'accompagne d'une philosophie naturelle, qui vise à comprendre l'unité de l'esprit dans la matière. Certains alchimistes, mais pas tous, ont adopté une approche religieuse, en établissant une correspondance entre la transmutation des métaux et une transmutation spirituelle, ou encore en proposant une lecture alchimique de la Bible. Les écrits alchimiques peuvent être plus ou moins symboliques ou cryptés, selon l'objectif de leur auteur.
Extrait de Alchimiste, estampe de William Pether d'après une peinture de Joseph Wright, 1775. BnF
Le savoir alchimique, présent au Moyen Âge, s'est développé au 17e siècle. Au 18e siècle, la chimie s'établit en tant que science descriptive et expérimentale, qui critique l'alchimie et s'en sépare. Cependant, cette tradition ne disparaît pas pour autant. Ce sont surtout les partisans des sciences occultes au 19e siècle qui ont présenté l'alchimie comme ésotérique, créant l'image que nous en avons aujourd'hui2.
« Le chimérique. Je souhaite la pierre philosophale et l'or potable ». Extrait des Souhaits inutiles, (...), dessin par La Couperie, gravure par Nicolas de Larmessin, 1710. BnF
Les recettes manuscrites de Gap
La couverture des Recettes de chimie et d'alchimie de la bibliothèque patrimoniale de Gap, en forme de portefeuille, garde trace d'une lanière qui devait faire le tour du livre pour le fermer. Elle est en parchemin de réemploi. On y distingue encore des traces d'écriture médiévale : le parchemin, qui était auparavant la page d'un autre ouvrage, a été réutilisé pour servir de couverture. Cette pratique de « recyclage » est très fréquente à l'époque moderne.
Recettes de chimie et d'alchimie, reliure portefeuille en parchemin et reste de lanière.
Les recettes sont ponctuées de symboles alchimiques, ce qui rend leur lecture difficile. Heureusement pour nous, à la fin du manuscrit, sur deux pages, se trouve une liste des symboles utilisés et leur correspondance. On y retrouve les quatre éléments, les métaux, les ustensiles, les préparations...
Liste des symboles utilisés dans les Recettes (...) à la fin du manuscrit.
Les correspondances des symboles sont écrites sous forme codée : des lettres ont été ajoutées à l'intérieur des mots. Ainsi, JOUR par exemple devient JaOmURi, OR devient OmRa, CUIVRE devient CoUaIVREm, etc. Un ancien lecteur du manuscrit a fait pour nous le travail de décodage, et donne en face de chaque symbole sa correspondance lisible.
Symbole et correspondance pour « heure », « jour » et « litarge » (litharge, forme d'oxyde de plomb).
Voici le genre de recettes que propose notre (al)chimiste : Secret d'un curé, Secret réel du grand cardinal, Fixation et purification de l'arsenic, Eau forte dissolvant toutes sortes de métaux, Pour congeler le mercure qui le fixera et teindra en or, Pour faire produire du bon vin et en grande quantité, Teinture physique ou panacée médecine universelle... On y retrouve des termes correspondant aux différentes opérations alchimiques : la congélation, la fixation, la teinture, etc.
Il est difficile de savoir si ces recettes sont inédites. Ce qui est certain, c'est qu'à cette époque d'innombrables recettes sont disponibles dans l'abondante production de littérature alchimique ou pharmaceutique qui circule. Les hommes d'alors pouvaient y avoir accès aussi facilement que nous avons accès, de nos jours, aux livres de chimie.
Aidés de la liste des symboles, tentons le déchiffrage d'une recette de notre manuscrit :
Pour faire fer blanc
Item étain fin d'Angleterre £ XII faites le fondre aux graisses blanches puis jettés dedans £ 6 sel ammoniaque. La matière étant en cest état, plongés dedans vos lames de fer préparées auparavant comme s'ensuit :
Item verd et vitriol [...] £ 6 dissolues en eau commun dans laquelle faictes infuser lesdites lames toute la nuict. Séchés lé avec farine de segle et les plongés d'abord dans votre estain comme il vient d'être dit.
Comme vous pouvez voir, l'interprétation de quelques symboles nous fait défaut !
Instruments de chimie : chauffeau, distillateurs, flacons, cucurbite de verre ou de grès, etc. Extrait de Traité élémentaire de chimie (...), par Antoine-Laurent de Lavoisier, 1789. BnF
La provenance des Recettes de chimie et d'alchimie n'est pas connue. Elles occupent la place n°28 des manuscrits, et le n° 6689 du fonds patrimonial de la médiathèque de Gap. Ont-elles appartenu à un médecin ? Aucune marque de provenance qui mentionnerait un possesseur de ces Recettes n'est visible dans l'ouvrage. Pour l'époque moderne, la médiathèque de Gap conserve une vingtaine d'autres ouvrages sur la chimie et l'alchimie, dont certains ont été donnés par des médecins.
Parmi ces ouvrages, un livre en particulier attire l'attention, et viendra clore notre plongée dans l'univers de la pierre philosophale, du mercure et des fioles : c'est Le texte d'alchymie et le songe-verd de Bernard le Trévisan, paru en 1695. Sur le frontispice rehaussé d'aquarelle qui se trouve au début de l'ouvrage, une devise latine nous interpelle, qui peut se traduire ainsi : « De l'un, par l'un, dans l'un. Toutes choses en un. Tout par moi. »
Extrait du Texte d'alchymie et le songe-verd, par Bernard de Trévisan. Bibliothèque de Gap
Ce texte est un exemple de ce que l'alchimie a produit de littérature symbolique et spirituelle. On y trouve le récit d'un rêve décrivant par métaphores les étapes de réalisation de la pierre philosophale, précédé d'une longue introduction parlant de la « divine pierre ». Si vous souhaitez découvrir l'exemplaire numérisé du Texte d'alchymie de la Bibliothèque nationale de France, rendez-vous dans Gallica.
Tentons, grâce à Bernard le Trévisan, une approche-éclair de la philosophie alchimique en guise de conclusion. La sagesse consiste à ne pas s'arrêter à une conception matérielle de la pierre philosophale, qui, tout en étant composée des éléments de la matière, se situe au-delà de la nature... Toucher du doigt l'invisible, tel est le privilège des initiés.
Il est absolument impossible de rendre cette matière visible et palpable, si on ne la possède déjà par la Science. Il est donc inutile de chercher par des expériences une science, dont il faut parfaitement connaître la théorie avant que de la pouvoir mettre en pratique3.
Décidément, que de mystère !
les liens
- Retrouvez les collections patrimoniales de la médiathèque de Gap dans le Catalogue collectif de France (CCFr). Ce lien vous donne accès à la description et à l'histoire des différents fonds de la bibliothèque patrimoniale, ainsi qu'aux notices de ses ouvrages les plus anciens (avant 1830) récemment décrits et versés dans le CCFr.
- Plongez-vous dans un autre domaine scientifique de l'époque moderne ! Si vous ne l'avez pas encore lu, voyez notre article sur Oronce Fine, astronome et astrologue du 16e siècle.
- Culturicimes Patrimoine vous propose une sélection de documents en rapport avec les sciences. Rendez-vous dans notre article Sciences pour les découvrir. Et si la recette ci-dessus vous a donné envie de déchiffrer des écritures manuscrites anciennes, vous trouverez d'autres ouvrages sur lesquels vous exercer dans l'article Manuscrits.
les références et les mentions
- 1 JOLY Bernard, « À propos d'une prétendue distinction entre la chimie et l'alchimie au XVIIe siècle : Questions d'histoire et de méthode », Revue d'histoire des sciences, 2007/1 (Tome 60), pp. 167-184.
- 2 JOLY Bernard, « Francis Bacon réformateur de l'alchimie : tradition alchimique et invention scientifique au début du XVIIe siècle », Revue philosophique de la France et de l'étranger, 2003/1 (Tome 128), pp. 23-40.
- 3 Bernard le Trévisan, Le Texte d'alchymie et le Songe-verd, 1695, p. 48.
ADHA : source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes
BnF : source gallica.bnf.fr / BnF
