1852 : un archiviste professionnel arrive dans les Hautes-Alpes !

 

En 2024, les Archives départementales des Hautes-Alpes réinvestissent leur bâtiment à Gap, en travaux depuis 2022. Culturicimes Patrimoine accompagne l'événement avec un portrait de Charles Charronnet, le premier archiviste des Hautes-Alpes à avoir reçu au 19e siècle une formation dans une école spécialisée : l'École des chartes.

 

Aux sources de l'histoire

 

À la fin du 18e siècle, la Révolution française a bouleversé le destin des archives, ce matériau qui sert de source à l'histoire : en effet, les confiscations révolutionnaires font passer les documents d'archives, chartes (actes authentifiés par les autorités) et manuscrits, des mains de l'Église à celles de l'État notamment. En parallèle, pour accueillir tous ces documents, une loi de 1796 instaure au chef-lieu de chaque département un dépôt où centraliser les archives saisies et les documents produits par la nouvelle administration révolutionnaire.

 

Le plus ancien document conservé aux Archives départementales des Hautes-Alpes : une charte du 10e siècle. ADHA, cote G 2215

 

Le besoin se fait alors sentir de former des professionnels capables de classer, conserver et étudier ces documents. C'est ainsi que naît l'École des chartes en 1821. Les élèves, appelés « chartistes », sortent de l'École avec le diplôme d’archiviste paléographe, un qualificatif tiré de leur spécialité : la paléographie, autrement dit l'étude des écritures anciennes, qui leur permet de lire les documents d'archives. 

 
Extrait d'un registre de notaire du 17e siècle. ADHA, cote 1 E 1343

 

Les élèves étudient aussi l'histoire de la langue française, l'archéologie, l'histoire politique et le droit, ce qui les rend capables de juger de la valeur historique des documents, ce qu'on appelle la critique des sources. Les études se concluent par la soutenance publique d'une thèse. L'Ecole offre alors des enseignements qui ne se trouvent nulle part ailleurs, formant à la fois une génération nouvelle d'historiens spécialistes du Moyen Âge - que l'on redécouvre à cette époque - et un corps de professionnels du patrimoine à même de travailler directement sur les sources.

A tous ses élèves, l'École donne tout d'abord pour devise, pour principe, pour mot d'ordre, cette proposition fondamentale :

Les sources, les sources, toujours remonter aux sources et ne se jamais contenter d’ouvrages de seconde main. Encore une fois, les sources.

Avec ce principe, on a un levier qui peut soulever le monde de la science du moyen âge. Et le point d'appui ne nous manquera pas, comme à Archimède pour soulever la terre.1

 Un magasin des Archives des Hautes-Alpes. ©  ADHA, Steve Kemencei

 

À partir d'un décret de 1850, les services d'Archives départementales sont progressivement placés sous la direction d’archivistes paléographes, formés à l'École des chartes.

 

Un chartiste dans les Hautes-Alpes

 

Dans les Hautes-Alpes, c’est en 1852, avec la nomination de Charles Charronnet  (1829-1863), qu’un « chartiste » prend la tête des Archives. Lorsqu’il arrive à Gap, le poste est vacant depuis deux ans. Avant lui, deux archivistes paléographes ont décliné la proposition de prendre ce poste apparemment peu attractif !

 

Portrait de Charles Charronnet. MANTEYER Georges de, Les archivistes des Hautes-Alpes (...), 1938. BnF

 

Qui est Charles Charronnet ? Originaire de Châteauroux (Indre), il a 23 ans lorsqu'il est nommé aux fonctions d'archiviste du département des Hautes-Alpes, son premier poste. Il sort tout juste de l'École des chartes, dont il est diplômé en mars 1852, après avoir soutenu une thèse sur la dialectique médiévale et l'étrange « secte des Cornificiens ». Sa candidature est appuyée par le Ministère :

 

Extrait d'une lettre du Ministère de l'intérieur au Préfet des Hautes-Alpes, 24 janvier 1852. ADHA, cote 3 T 28

 

Il en résulte que la conduite de ce jeune homme à l'école a toujours été irréprochable, et que les professeurs n'ont eu qu'à se louer de son assiduité ainsi que de la douceur de ses manières. 

Charles Charronnet va entreprendre un certain nombre de travaux sur les archives, alors installées en préfecture : classement de fonds, recherches et publications. Le jeune chartiste est bien décidé à s'occuper d'écrire l'histoire locale :

Je ferai pour Gap et pour les principales localités de ce pays ce que de rudes travailleurs ont déjà fait pour d'autres contrées, j'écrirai leur histoire, et le volume que j'offre aujourd'hui au public est le point de départ d'une série de publications du même genre.2

 

Sa contribution à l'histoire des Hautes-Alpes

 

Charles Charronnet est resté 11 ans à la tête des Archives des Hautes-Alpes. Ses recherches portent surtout sur l’histoire religieuse. Avec le ton de plume humoristique qui le caractérise, il introduit d’un trait incisif la présentation qu'il consacre à la Chartreuse de Durbon, un monastère haut-alpin :

Les archives de Gap, très imparfaitement connues, surtout des gens du pays, ont cependant une certaine importance.3

 

Ruines de la Chartreuse de Durbon dans CHARRONNET Charles, Monastères de Durbon et de Bertaud. Charte provenant de Durbon, 12e siècle, cote 1 H 2/4. ADHA

 

Il s’intéresse aussi aux sociétés savantes du département. Il publie surtout en 1861 un ouvrage sur Les guerres de religion et la société protestante dans les Hautes-Alpes. Fidèle aux principes de l'École qui l'a formé, il affirme dans l'introduction l’intérêt des archives locales : 

Il faut que toutes les archives soient fouillées, soient accessibles à tous, il faut que paraissent à la lumière du jour les annales de toutes nos cités avant que puisse être écrite une véritable et complète histoire de France.4 

Les Archives départementales conservent, sous les cotes Ms 340 à 349, de nombreux petits carnets de notes de sa main, et des fiches préparatoires pour un dictionnaire topographique qui a servi plus tard à Joseph Roman pour la rédaction de son Dictionnaire topographique du département des Hautes-Alpes

 
Les carnets de notes de Charles Charronnet. © ADHA, Pierre-Alexandre Taix

 

Charles Charronnet n'a pas eu le temps de finir lui-même ce travail, ni d'écrire les ouvrages sur les Hautes-Alpes qu'il projetait... En effet, il meurt prématurément à Gap en 1863, à l'âge de 34 ans. L'historien Georges de Manteyer conclut ainsi à son sujet :

Intelligent et actif, M. Charronnet est le seul élève de l'Ecole des Chartes qui ait pris goût à ce pays des Alpes et qui y ait laissé une trace réelle au cours du XIXe siècle.5

 

Pour aller plus loin

 

  • Voir sur le site des Archives départementales le projet « Les Archives se la racontent » , comprenant des reportages photographiques sur le chantier de réhabilitation-extension du bâtiment et sur les missions des Archives. 
  • Découvrez sur le site de l'École nationale des chartes, qui a fêté ses 200 ans en 2021, ses missions et les formations qu'elle propose de nos jours aux futurs historiens et spécialistes du patrimoine, et en particulier son histoire.
  • Si vous souhaitez feuilleter les ouvrages écrits par Charles Charronnet sur l'histoire des Hautes-Alpes, voici le lien vers ses publications disponibles dans Culturicimes. Retrouvez également la position (résumé) de sa thèse « Notice historique sur la secte des Cornificiens (XIIe siècle) ».

 

 Les références

 

1  GAUTIER Léon, Quelques mots sur l'étude de la paléographie et de la diplomatique (...), 1859, p. 15.

2  CHARRONNET Charles, Les guerres de religion et la société protestante dans les Hautes-Alpes (1560-1789), 1861, introduction.

3  CHARRONNET Charles, « Documents sur la Chartreuse de Durbon », in Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 1854, tome 15, pp. 435-443.

4  CHARRONNET Charles, Les guerres de religion et la société protestante dans les Hautes-Alpes (1560-1789)

5  MANTEYER Georges de, Les archivistes des Hautes-Alpes et la série des dons faits à leurs archives (1817-1913), p. VI. 

 

ADHA : source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes

BnF : source gallica.bnf.fr / BnF