Un lapidaire à Briançon.

 

Publié en août 2023

Mis à jour en octobre 2024

 

Antoine Caire, dit Caire-Morand, naît à Briançon (Hautes-Alpes) en 1747. Il est pour ainsi dire tombé dans la marmite aux pierres précieuses étant petit : en effet, son père est orfèvre, et il fait connaissance très jeune avec les pierres dans l’atelier de celui-ci, comme il le raconte dans un Mémoire qu'il nous a laissé :

Dans mes premiers ans, je trouvai chez mon père une boîte renfermant des cristaux et autres pierres précieuses, que j’examinai d’abord clandestinement, de peur d’être grondé.1

Extrait de SIMONIN L., Pierres : esquisses minéralogiques. BnF

 

Ayant des dispositions pour le dessin, il est envoyé par ses parents à l’âge de 14 ans en Italie à Turin, en apprentissage chez un lapidaire, c'est-à-dire un ouvrier qui taille et vend les pierres précieuses. Il apprend ainsi les bases de son futur métier. À 17 ans, c'est le début pour lui de près de 12 années de voyage afin de se perfectionner, en Italie, à Paris, en Angleterre et en Espagne, où il reçoit de nombreuses propositions d’emploi.

 

 Une entreprise audacieuse

 

Mais Antoine Caire-Morand a un projet audacieux en tête. Il veut fonder une manufacture dans le pays qui l’a vu naître, afin de mettre en valeur les produits de ses montagnes : cristal de roche de l’Oisans et du Briançonnais, variolites de la Durance… À l’âge de 30 ans, le voilà donc de retour à Briançon. Il écrit à l'intendant du Dauphiné, Christophe Pajot de Marcheval, pour le convaincre de l'aider : 

 Nous avons, dans le Briançonnais, des pierres curieuses que ces habitants foulent aux pieds, ne les connaissant point. On pourrait, à l’imitation des Anglais, en tirer, je pense, un bien grand avantage.2

Le défi est de taille : former des ouvriers, acheminer ou construire le matériel, trouver l'argent nécessaire... Avec le soutien de l'intendant, Antoine Caire-Morand surmonte toutes les difficultés et fonde sa manufacture de cristal de roche à Sainte-Catherine sous Briançon en 1778. 

 

Face du bâtiment de la manufacture avec projet d'aménagement par Caire-Morand. ADHA, cote C 27

 

Succès et déconvenues

 

Dans les premiers mois, échecs et pertes financières s’accumulent. Antoine Caire-Morand s’engage alors dans le façonnage d’objets plus originaux et invente des coupes nouvelles, trouvant son style, qui sera bientôt imité dans l’Europe entière. Bijouterie, objets gravés ou sculptés, objets de luxe ou de fantaisie taillés à facettes… les commandes affluent.

 

Taille à étoile inventée par Caire-Morand. Extrait de La science des pierres précieuses (...). BnF

 

En 1784, il obtient le titre de « manufacture royale » qu’il avait sollicité. La pièce la plus importante à sortir de la manufacture de Briançon est un lustre à cylindre composé de 1500 cristaux, commandé par le ministre des Affaires étrangères, qui occupera 40 ouvriers pendant plus de 3 ans.

 

Affiche de 1780 incitant la jeunesse à s'engager en apprentissage dans la manufacture de Caire-Morand. ADHA, cote C 27

 

C'est au moment où la manufacture commence à engranger des bénéfices que survient la Révolution française. Les ouvriers sont réquisitionnés, l'entreprise est mise à l'arrêt. En 1794, la commune de Briançon installe dans la manufacture une fabrique de salpêtre, servant pour la poudre à canon. Antoine Caire-Morand multipliera les démarches pour le maintien de son activité, mais malgré les promesses de soutien, la manufacture ne peut se relever de ses ruines, et les bâtiments deviennent une maison d’habitation.

Fatigué de ces déconvenues, Antoine Caire-Morand part s’installer à Turin, où il s’est formé dans sa jeunesse, afin d'y exercer l’orfèvrerie et la bijouterie. Il finit sa vie occupé à son commerce, et à la rédaction d’un livre, La science des pierres précieuses, fruit de quarante années d’expériences et d’études. L’ouvrage paraîtra en 1826 après sa mort.

 

Page de titre de La science des pierres précieuses (...), deuxième édition, 1833. BnF

 

Antoine Caire-Morand tombe ensuite dans l’oubli… jusqu'à ce que deux historiens haut-alpins, Jean-Armand Chabrand et Paul Guillaume, réhabilitent sa mémoire dans les années 1870, près de 50 ans après sa mort. Découvrez la postérité d'Antoine Caire-Morand dans un autre article : le témoignage d'Antoine Caire-Morand.

 

les liens

 

  • Un autre article de Culturicimes Patrimoine vous présente une curiosité : un livre relié avec une variolite, une pierre provenant de la manufacture d'Antoine Caire-Morand. C'est ici !
  • Les pierres précieuses vous inspirent ? Rendez-vous dans l'article Nature de Culturicimes Patrimoine. La sélection Géologie et minéralogie vous fera découvrir des ouvrages en lien avec cette thématique.

 

les références

 

1   GUILLAUME Paul, Autobiographie de Caire-Morand, 1883, p. 8

2   GUILLAUME Paul, Notes et documents relatifs à Caire-Morand, 1885, p. 253.

 

ADHA : source archives.hautes-alpes.fr / Archives départementales des Hautes-Alpes

BnF : source gallica.bnf.fr / BnF